Écritures de la transe dans la littérature francophone autodiégétique de la Polynésie française au XXIe siècle : entre expression de l’autochtonie et revenance traumatique
Dans le panorama littéraire du Pacifique insulaire francophone, les œuvres de Chantal Spitz et de Titaua Peu ont largement exploré les représentations traumatiques d’une autochtonie polynésienne meurtrie, souvent donnée à voir dans une écriture « énargique », qui ente la thématique du trauma sur celles de la revendication identitaire et de la protestation anticolonialiste. D’autres textes d’écrivains autochtones, cependant, sous la forme d’entreprises mémorielles plus ou moins ouvertement romancées, pratiquent une écriture en apparence moins agonistique, où la reconstruction du passé personnel et communautaire tente de s’élaborer comme lieu de reconquête de la subjectivité indigène : c’est le cas de Rurutu, Mémoires d’avenir d’une île australe de Ta’aria Walker (1999), de la biographie romancée de Sunny Moana’ura Walker, Le Païen, écrite par l’écrivaine d’origine tahitienne Ariirau (2017), ou encore du roman à la première personne Le Roi absent de Moetai Brotherson (2007). Face à ces récits globalement autodiégétiques qui semblent recomposer le moi autochtone par la figuration littéraire du souvenir, sans nécessairement l’inscrire dans un rapport d’opposition frontale à l’altérité coloniale, l’hypothèse que nous voudrions examiner est celle d’une persistance du trauma quasi-invisible, dont les indices sont perceptibles, paradoxalement, dans le récit d’expériences revendiquées comme proprement autochtones. L’irruption de la transe, en particulier, à la fois comme motif narratif et comme expérience scripturale, devient dans ces œuvres l’espace d’une recréation ambiguë de la conscience indigène, où l’indicible effraction coloniale, presque impossible à se représenter, laisse directement sa trace traumatique dans le geste même d’expression littéraire de l’autochtonie.
Références
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